EUSKADI: 45 ans d'autonomie et de développement

Dans la communauté autonome d'Euskadi qui regroupe les provinces du Gipuzkoa, Biscaye et Alava, le statut d'autonomie de Gernika fête ses 45 ans. La majorité du parlement autonome basque réclame un nouveau statut. Le premier ministre socialiste Pedro Sánchez a promis un changement.

Franck Dolosor

10/24/2024

En France, le mot “autonomie” a encore parfois une connotation péjorative. Un “gros mot” diront même certains. Et pourtant la décentralisation se porte plutôt bien un peu partout en Europe, notamment au sud des Pyrénées. À Dancharia, Ibardin ou Irun, pour les commerçants et les habitants pratiquement tous les sujets du quotidien sont gérés par des institutions autonomes.


L'autonomie, c'est quoi au juste?


Depuis la mort du dictateur Franco en 1975 et la mise en place de la monarchie parlementaire espagnole, les basques du sud ont deux autonomies: la Communauté Forale de Navarre, d'un côté, avec Pampelune comme capitale; et de l'autre, la Communauté autonome basque d'Euskadi. Cette dernière regroupe les provinces du Gipuzkoa (Saint Sébastien), la Biscaye (Bilbao) et l'Alava (Vitoria).

Dans un état espagnol totalement décentralisé, les quatre provinces basques lèvent l'impôt et gèrent directement la santé, l'éducation, le développement économique et industriel, le logement, le tourisme, la culture et même la sécurité avec deux polices régionales: la police forale en Navarre et la Ertzaintza dans la communauté autonome basque.

Chaque territoire autonome a un parlement doté d'un vrai pouvoir législatif. Ces assemblées se chargent de désigner les présidents des deux exécutifs: la socialiste María Chivite dans le cas de la Navarre, et dans la communauté autonome basque d'Euskadi le démocrate basque de EAJ-PNV, le parti nationaliste basque, Imanol Pradales. Il occupe la fonction de lehendakari.

Le lehendakari Imanol Pradales et la présidente navarraise María Chivite lors d'une rencontre en septembre 2024 à Iruñea-Pampelune. (Irekia)


45 ans d'autonomie en Euskadi

Avec un budget annuel de 15 milliards d'euros, le gouvernement autonome basque gère le quotidien de plus de deux millions et demi d'habitants. Et en y regardant bien, l'application de cette autonomie est visible un peu partout, notamment en arrivant à Irun, Fontarrabie ou Saint-Sébastien où toute la signalétique publique est bilingue, en basque et en espagnol. C'est l'application même de la loi adoptée au début des années 80 par le parlement autonome basque basé à Vitoria et qui reconnaît l'euskara comme langue co-officielle à côté du castillan.

En arrivant dans la province du Gipuzkoa, il est aussi courant de remarquer au bord de la route la présence des agents de la Ertzaintza, la police autonome basque. Ces agents qui assurent la sécurité intérieure seront bientôt 8 000. Cette police intégrale s'occupe de pratiquement tous les domaines à l'exception de la surveillance des ports et des aéroports, encore réservés à la Garde Civile espagnole.

Près de 80% du budget du gouvernement basque d'Euskadi est destiné aux politiques sociales, notamment le service de santé Osakidetza qui est totalement decentralisé.

En collaboration avec les Conseils Provinciaux du Gipuzkoa, de Biscaye et d'Alava, le gouvernement autonome basque gère également les infrastructures et la mobilité, avec notamment la construction d'une ligne à grande vitesse reliant Irun, Saint-Sébastien, Vitoria, Bilbao, le reste de la péninsule ibérique avec peut être un jour une liaison avec la façade Atlantique et le nord de l'Europe. Le gouvernement basque a quasiment terminé la construction des tronçons de ce projet européen qui sont à sa charge, notamment dans la province du Gipuzkoa. Cela est loin d'être le cas concernant la partie du chantier dont s'occupe le gouvernement espagnol.

Au Pays Basque sud, l'autonomie est aussi synonyme de modernité et d'efficacité concernant le réseau routier et les déplacements. Au sud de la Bidassoa, la gestion locale et la possibilité de réaliser des investissements colossaux permettent à toutes les grandes agglomérations d'avoir de bonnes voies de contournement, des tramway et même un métro comme à Bilbao! Et du coup, pas de gros bouchons comme chaque jour dans l'agglomération bayonnaise.

Le Guggenheim, un des symboles les plus visibles de l'autonomie

L'éducation et la culture sont deux autres piliers du statut d'autonomie de Gernika. La construction du musée Guggenheim est le symbole du renouveau du Pays Basque et sa capacité à assurer la reconversion de Bilbao, une ville industrielle en déclin qui en un quart de siècle est devenue une des principales destinations touristiques.

Il y a une trentaine d'années, le projet porté par le gouvernement basque d'Euskadi semblait un pari fou. Depuis 1997, plus de 25 millions de visiteurs ont poussé la porte du bâtiment conçu par l'architecte Frank Gehry. À l'initiative des démocrates basques de EAJ-PNV, 130 millions d'euros ont été investis et les retombées économiques dépassent déjà la barre des 500 millions d'euros.

Les retombées économiques du Guggenheim sont importantes aussi au nord de la Bidassoa. Pour les professionels du tourisme, avoir un tel musée à seulement une heure et demie de route est bien évidemment un atout qui permet de mieux promouvoir la destination Biarritz-Pays Basque.

Lors de leurs déplacements internationaux, les resposanbles de l'Agence départementale d'Attractivité et de Développement insistent toujours sur cette proximité. Leurs interlocuteurs à Londres, Stockholm ou Copenhague apprécient fortement cet atout. Entre Hendaye et l'agglomération bayonnaise, depuis de longues années les professionels du tourisme sont conscients que parmi les milliers de touristes de passage sur la côte beaucoup vont passer au moins une journée à Bilbao.

Les excursions en bus affichent complet régulièrement. Au départ de Biarritz, une dizaine de sociétés organisent chaque année une vingtaine d'excursions haut de gamme et proposent des aller-retours au musée Guggenheim avec chauffeur. Des dizaines de clients britaniques et américains viennent à l'aéroport de Biarritz en jet-privés uniquement pour cela.


En 2023, des millions de personnes ont suivi le Grand Départ du Tour de France et dont la présentation avait eu lieu sur l'esplanade du Guggenheim. Les autorités basques souhaitent créer un second musée de ce type près de Gernika pour revitaliser la réserve de la biosphère d'Urdaibai.


Une autonomie au service de la culture et de l'euskara


Depuis le début des années 80, le gouvernement autonome d'Euskadi a soutenu des centaines d'initiatives culturelles dans l'ensemble des sept provinces du Pays Basque. Il soutient Seaska, la fédération des ikastola, les écoles immersives en langue basque et chaque année il apporte 400 000 euros à l'Office Public de la langue basque. Basé à Bayonne, il assure la promotion de l'euskara dans les provinces du Labourd, de la Basse Navarre et de la Soule.

À l'initiative des démocrates basques, l'eurorégion Aquitaine-Euskadi-Navarre a également vu le jour. Le rôle de cet organisme transfrontalier est d'impulser la collaboration entre ces trois territoires avec des dizaines d'actions très concrètes comme la formation des enseignants bascophones, la collaboration entres différentes universités ou l'information apportée aux travailleurs transfrontaliers.

Afin de revitaliser la langue basque, au début des années 80, le gouvernement autonome basque décide de créer EiTB, Euskal Irrati Telebista, la radio télévision publique basque. Doté d'un budget annuel de près de 200 millions d'euros, le groupe compte aujourd'hui environ mille salariés, de nombreuses chaînes tv et radio et de nombreux bureaux un peu partout au Pays Basque et dans le monde.

Son siège social et ses studios sont à Bilbao et à Saint Sébastien. Chaque jour des correspondants interviennent également à l'antenne depuis les bureaux de Vitoria, Pampelune et Bayonne. Aussi, le groupe possède un important réseau de correspondants permanents à Madrid, Barcelone, Paris, Bruxelles, Berlin, Londres, New York, en Amérique du sud et à Jérusalem. Il y a quelques années, un bureau a ouvert à Pékin!

EiTB propose chaque jour en basque et en castillan, les deux langues co-officielles de la communauté autonome basque, des JT, des talk show, des séries, des jeux, des concerts et des parties de pelote basque. ETB1 est bien connue aussi pour les retransmissions en euskara du Tour de France, de la Vuelta, du Giro et des compétitions de trainières.

Depuis 1993, ETB1 diffuse Iparraldearen Orena (l'heure du nord), un journal quotidien de 10 minutes d'informations locales sur le Pays Basque nord réalisé en basque depuis son bureau basé à Bayonne. En plus de ce rendez vous quotidien à 15h10 du lundi au vendredi, un résumé de la semaine est diffusé le dimanche matin vers 9h. Depuis Bayonne, près d'une dizaine de journalistes et de techniciens assure la présence de l'actualité d'Iparralde chaque jour sur les ondes du groupe de radio-tv qui s'adresse également aux téléspectateurs du Labourd, de la Basse-Navarre et de la Soule via la TNT et internet. ETB3 propose des déssins animés en langue basque.

En plus des 5 chaînes de télévision, EiTB englobe aussi six radios: Euskadi Irratia (FM-94.4) et Radio Euskadi (FM-96.5), deux généralistes en basque et en espagnol, Radio Vitoria, un canal régional dédié à la province de l'Alava ainsi que trois radios musicales, dont GAZTEA pour les jeunes (FM-103.5)

Depuis plusieurs années EiTB fait la part belle au numérique avec son site, et deux nouvelles applications PR1MERAN et MAKUSI qui s'adressent également à toute la communauté bascophone.

Un peu d'histoire sur l'autonomie

Au Pays Basque, le 25 octobre est pour beaucoup une date très importante. C'est en effet le 25 octobre 1979 que les provinces du Gipuzkoa, Biscaye et Alava ont récupéré leur statut d'autonomie. Le premier avait été accordé par la république espagnole en 1936 peu avant la guerre civile outre-Bidassoa. Cependant, le développement de ce statut avait vite été stoppé par la répression franquiste et une dictature qui a duré près de 40 ans.

En pleine transition démocratique, Madrid ouvre des négociations et lors du réferendum de 1979, plus de 90% des citoyens ont voté en faveur du nouveau statut d'autonomie. Des artistes comme la chanteuse Estitxu ont soutenu la démarche et animent de grands rassemblements organisé notamment par les démocrates basques de EAJ-PNV en faveur de l'autonomie d'Euskadi. Dotée d'une des plus belles voix au monde, l'artiste surnommée “le rossignol de Briscous”, a même crée la chanson qui anime la campagne en faveur du développement insitutionnel des trois provinces.

En 1979, les démocrates basques de EAJ-PNV, le Parti Socialiste, la gauche Euskadiko Ezkerra, les communistes et les centristes de UCD se montrent favorable au statut d'autonomie dit de Gernika. La droite espagnole et l'ETA sont contre, et son bras politique Herri Batasuna prône l'abstention. La droite et l'ETA ont toujours combattu l'autonomie. Alianza Popular, et plus tard, le Parti Populaire ont toujours limité son développement. Pendant des années, les commandos terroristes de l'ETA ont quant à eux assassiné de nombreux représentants et serviteurs du statut adopté par l'immense majorité. Ils ont même tué plus de personnes durant cette période que pendant le franquisme.

Un anniversaire qui regarde vers l'avenir

45 ans après, le premier lehendakari Carlos Garaikoetxea assure que l'autonomie a permis le développement d'un pays secoué à l'époque par le franquisme, le terrorisme et un chômage de plus de 30% dans la banlieue de Bilbao. “L'autonomie c'est l'identité, le développement, le progrès, le vivre ensemble et une bonne qualité de vie” souligne Iñigo Urkullu, lehendakari de 2012 à 2024. En dépit des différentes crises, économiques, sociales et sanitaires, la plupart des indicateurs montrent qu'actuellement Euskadi est l'un des pays les plus prospères. En 45 ans, le PIB a été multiplié par 11 et la qualité de vie des citoyens est en moyenne supérieure à celle d'autres territoires.

Et pourtant, 45 ans après, les gouvernements successifs espagnols de droite comme de gauche n'ont toujours pas transféré toutes les compétences prévues par la loi, notamment la sécurité sociale. Les démocrates basques de EAJ-PNV viennent de faire une proposition pour que la loi soit enfin respectée. Ils exigent ces 29 compétences fixées dans le statut adopté il y a 45 ans. Ils souhaitent même aller plus loin et exigent un nouveau statut. Madrid s'y est également engagé. Les négociations viennent de commencer.